Au Maroc, le constat est sans appel : nous sommes un pays aride (moins de 700 m3 de potentiel disponible par habitant et par an) avec une répartition inégale, dans le temps et dans l’espace de cette ressource. Nous disposons toutefois d’atouts certains sur le plan institutionnel : loi sur l’eau promulguée en 95 et récemment mise à jour, agences de bassins hydrauliques : outils régionaux agiles de mise en œuvre des politiques de gestion de l’eau, placées sous la responsabilité d’un département ministériel de l’eau qui gère la ressource sans en être utilisateur.
Nous avons ainsi pu arrêter , pour chaque bassin hydraulique , des prévisions à long terme ( horizon 2030, puis horizon 2050) des besoins de ressources en eau pour l’industrie , le tourisme , l’habitat et l’agriculture ainsi que la planification et le chiffrage des projets de mobilisation des ressources en eau ( barrages , dessalement , réutilisation des eaux usées après épuration …), de protection contre la pollution , contre les inondations ou d’économie d’eau ( irrigation au goutte à goutte , entretien des réseaux de distribution …) nécessaires pour y faire face.
Le chiffrage de la synthèse nationale de ces plans a conduit à des investissements prévisionnels annuels de l’ordre de 15 milliards de Dhs par an, soit à un rythme nettement supérieur aux réalisations actuelles.
L’impact, exponentiel et non linéaire, des changements climatiques sur la pluviométrie doit en outre nous amener à réviser périodiquement ces évaluations qui pourraient être réévalués significativement à la hausse.
Ainsi, si nous voulons faire face aux risques de pénurie d’eau, d’inondations, de pollution de nos ressources … nous devons nécessairement marquer une rupture forte et durable dans le rythme de nos investissements et dépasser les mesures palliatives et dispersées.
Il y a urgence en la matière car tout retard constaté peut entrainer des conséquences lourdes tant sur la disponibilité de la ressource par rapport aux besoins économiques et sociaux que par les conséquences dommageables par exemple sur les personnes et les biens à travers les inondations ou par la pollution des nappes phréatiques.
Ces quelques milliards de Dhs supplémentaires à mobiliser annuellement nécessitent une vraie réforme du financement du secteur de l’eau ; deux pistes se dessinent :
1/ L’Etat à travers ses budgets sectoriels, ses démembrements et avec les collectivités territoriales prend en charge cet effort supplémentaire. C’est donc la Solidarité Nationale, à travers l’impôt, qui prendrait en charge les investissements, voire une partie des coûts d’exploitation, requis pour les besoins des usagers, notamment le secteur agricole qui consomme plus de 85% des ressources en eau.2/ La mise en œuvre, dans une logique de Responsabilité, des principes de « préleveur – payeur » et « pollueur – payeur » aujourd’hui présents dans la loi mais si peu appliqués, et ce tant pour les coûts, ou une partie des coûts, d’investissement que pour ceux d’exploitation et de maintenance.
En tout état de cause, il conviendra de respecter quelques règles de base :
- La contribution financière publique aux coûts d’investissement doit être cohérente et homogène par rapport aux différents leviers de la politique de l’eau : mobilisation des ressources, protection des ressources, économie de l’eau, protection contre les inondations …qui doivent être mis en œuvre simultanément. Il est d’ailleurs probable qu’au-delà de l’horizon 2030 ( horizon 2050), le coût de réel de toute ressource additionnelle placera l’économie de l’eau en levier prioritaire de la politique en la matière ( l’eau la moins chère sera celle que l’on a économisé et pas consommé).
- La contribution financière des usagers doit être optimisée en respect de l’utilité économique, sociale et environnementale. La mise en œuvre d’un prix de l’eau pour chaque catégorie d’usager, incluant les coûts d’exploitation et de maintenance et une partie voire la totalité des coûts d’investissement, devant également permettre d’atteindre les objectifs de préservation et d’économie de cette ressource.
Il appartient aux décideurs politiques de fixer la position du curseur entre solidarité et responsabilité et de s’atteler résolument à la mise en œuvre d’une politique publique de l’eau robuste et pérenne capable de surmonter les changements de majorité politique.
Ils devront notamment sauvegarder des éléments clefs de notre contrat social : assurer la disponibilité de l’eau partout, et jusques aux douars reculés, et en assurer l’accessibilité à travers une tarification « sociale » pour les couches les plus démunies de nos concitoyens.
Cas du projet de dessalement de la région d’Agadir :
Ce projet est emblématique, tant par sa taille : 275 000 M3 d’eau dessalée par jour qui en fait un méga-projet à l’échelle mondiale, que par ses usages ; 150 000 m3 pour l’eau potable et 125 000 M3 pour l’irrigation et enfin par son mode de financement construit sur un partenariat public privé. Mais si nous connaissons les caractéristiques physiques du projet, nous ignorons tout du partage des coûts d’investissement et d’exploitation entre l’Etat et les usagers : ONEE et ses clients pour l’eau potable et Département de l’agriculture et les agriculteurs pour l’irrigation.
Fouad Douiri sur lhttps://www.leconomiste.com/
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