Pour sa part, Gartner, un cabinet de conseil et de recherche en techniques avancées, a récemment publié une liste de dix tendances stratégiques, structurées autour du concept de technologie « centrée sur l’humain » au cœur d’un « espace intelligent ». Ces technologies auront un impact profond sur les êtres humains et l’espace dans lequel ils évoluent, et les organisations devraient prendre en considération le contexte dans lequel leurs produits et services sont consommés avant de penser l’architecture de leurs systèmes, leurs infrastructures et leurs applications techniques.
Il convient de noter que ces tendances n’existent pas en isolation et que les responsables des SI devraient en définir le mix optimal pour implémenter leurs stratégies. Dans la suite de cet article, nous allons explorer ces tendances et tenter d’analyser leur impact potentiel sur l’économie de notre pays.
I – Tendances « centrées sur l’humain »
Hyper automatisation
Si l’automatisation des tâches humaines s’est largement démocratisé, surtout en milieu industriel, l’hyper automatisation reste encore à ses balbutiements. Elle consiste à utiliser les nouvelles technologies pour augmenter les capacités humaines et automatiser les processus de production sur toute la longueur de la chaîne (découverte, analyse, design, automatisation, mesure et évaluation). Elle repose sur une combinaison de plusieurs outils comme l’automatisation de processus par robotique (RPA), les applications intelligentes de business management (iBPMS) et l’apprentissage machine (Machine Learning).
Expérience multiple
Ce concept remplacera petit à petit l’expérience utilisateur traditionnelle, centrée autour d’un point d’interaction unique, par une expérience plus immersive avec une multitude de capteurs et d’interfaces. Cette expérience ambiante utilisera de façon progressive les technologies de réalité augmentée (AR), de réalité virtuelle (VR), d’interfaces homme-machine multicanales, et de capteurs sensoriels intelligents.
Démocratisation de la technologie
La technologie deviendra de plus en plus accessible au grand public, non seulement en tant qu’utilisateurs mais aussi en tant que créateurs et designers d’applications. Grâce à la démocratisation de la technologie, il ne sera plus nécessaire d’être un spécialiste en langages de programmation ni d’être un « data scientist » confirmé pour créer des applications pointues. Des outils utilisant l’intelligence artificielle assisteront les développeurs novices dans la génération de code machine et dans l’automatisation de la phase des tests. Cette tendance touchera essentiellement 4 disciplines : le développement des applications, l’analyse de données, le design et la gestion des connaissances.
Humain augmenté
L’augmentation humaine consiste à utiliser les nouvelles technologies pour améliorer les expériences physiques et cognitives de l’être humain. L’augmentation physique repose sur l’utilisation d’un dispositif implanté à l’intérieur du corps ou à l’extérieur pour améliorer ses capacités. Elle se divise en 4 catégories : l’augmentation sensorielle (vue, audition), l’augmentation des fonctions biologiques (exosquelettes, prothèses), le cerveau augmenté (implants pour traitement d’épilepsie) et l’augmentation génétique (cellules souches). De l’autre côté, l’augmentation cognitive peut améliorer les capacités de l’être humain à réfléchir, à analyser son environnement et à prendre de meilleures décisions raisonnées.
Transparence et traçabilité
Le stockage et la manipulation des données personnelles deviennent de plus en plus problématiques pour les organisations, surtout que les utilisateurs sont de plus en plus conscients de la façon dont leurs données sont exploitées et monétisées par les entreprises. Les nouvelles législations en matière de protection des données personnelles impliqueront des changements pour ces entreprises dans leur façon de collecter et stocker les données mais aussi dans leur façon de les utiliser et les partager.
II – Tendances « espace intelligent »
L’informatique en périphérie
Cette discipline (aussi appelée « Edge Computing ») concerne les architectures utilisant des capteurs de données intelligents. Elle consiste à effectuer tout ou une partie du traitement de l’information à un niveau proche des capteurs afin d’optimiser le flux de données transitant sur les réseaux. La conséquence directe est que l’association de ces capteurs et de ces applications et services contribuent à créer des espaces intelligents au plus près de l’utilisateur final. Selon Gartner, le nombre de capteurs intelligents à la périphérie des réseaux sera 20 fois celui des dispositifs IT traditionnels en 2023.
Le cloud distribué
Les fournisseurs de cloud public commencent déjà à distribuer et délocaliser leurs offres de services en dehors de leurs centres de données traditionnels, tout en gardant la responsabilité de l’architecture, de la distribution, de la sécurité et de la gouvernance. Cela permet de résoudre les problèmes de disponibilité, de latence et de souveraineté sur les données.
Les objets autonomes
Si les objets autonomes existent déjà dans certains milieux restreints et contrôlés (les mines, les champs agricoles, les entrepôts), ils seront bientôt appelés à évoluer dans des espaces publics ouverts. D’ailleurs, plusieurs projets de voitures autonomes sont à des stades avancés d’implémentation (Google, Tesla, Uber) avec, comme particularité, l’utilisation des algorithmes d’apprentissage machine pour faire évoluer les automobiles, en mode autonome ou semi-autonome.
La blockchain pratique
Une blockchain est une sorte de base de données encryptée, distribuée, détenue par tous les utilisateurs, sans autorité de régulation centrale, utilisée en général pour stocker des données de transactions entre différentes parties. Son architecture a été conçue pour rendre (presque) impossible la modification d’une donnée ou d’une transaction sans corrompre la totalité de la chaîne de blocs. Cela dit, au fur et à mesure que la chaîne grandit, l’ajout d’un nouveau bloc devient de plus en plus coûteux en termes de puissance de calcul et de dépense énergétique, posant des problèmes d’adoption au sein des entreprises.
La blockchain pratique s’intéresse à l’utilisation de technologies complémentaires comme l’intelligence artificielle et l’internet des objets pour fluidifier le processus de vérification des nouveaux blocs et pour élargir les domaines d’application de la blockchain. Par exemple, à l’avenir, Gartner n’exclut pas qu’une voiture pourrait négocier le renouvellement d’un contrat d’assurance directement avec la compagnie d’assurance, en utilisant la télématique et la blockchain.
La sécurité fondée sur l’IA
L’adoption des nouvelles technologies et l’avènement massif des algorithmes d’intelligence artificielle soulèvent forcément des questions de sécurité et d’émergence de nouveaux types d’attaques malveillantes. L’augmentation exponentielle des objets connectés, des clouds distribués et des capteurs intelligents augmentent nécessairement les points d’intrusion et les risques de sécurité potentiels et les spécialistes de la sécurité devront faire face à de nouveaux défis. Ils devront se focaliser sur la protection des systèmes d’IA, sur l’utilisation de l’IA pour l’amélioration de la sécurité et sur l’anticipation d’attaques malicieuses à base d’IA.
Et nous dans tout ça ?
Si certaines de ces tendances peuvent sembler hors de portée pour notre pays en ce moment, le Maroc commence à se positionner timidement sur d’autres.
C’est le cas, par exemple, des secteurs de l’automobile et de l’aéronautique et l’émergence des plateformes industrielles intégrées qui garantissent une automatisation avancée des procédés de production. Notre industrie minière commence à utiliser des engins autonomes ou semi-autonomes pour le transport de minerais sur des chemins balisés et à explorer l’utilisation des machines de forage autonomes. Le personnel des complexes industriels est graduellement équipé d’uniformes intelligents garantissant à la fois plus de sécurité et de productivité.
Sur le plan de l’informatique en périphérie, l’exemple de l’OCP et son programme de transformation digitale du secteur agricole demeure l’un des plus aboutis sur la scène nationale. Les agriculteurs reçoivent des conseils personnalisés et contextualisés à l’aide de capteurs intelligents et des algorithmes d’analyse de données. D’autre part, des traitements innovants commencent à faire leur apparition au Maroc comme l’utilisation des cellules souches qui permettraient de guérir des maladies chroniques ou dégénératives, en réinjectant des cellules dans l’organisme, après traitement dans des machines spécialisées.
Cela dit, si ces avancées technologiques constituent un apport indéniable au développement économique de notre pays, le sujet des nouvelles technologies a jusqu’ici été traité avec beaucoup de passivité et un manque total de stratégie visionnaire. C’est la raison pour laquelle il est plus que jamais urgent de développer un positionnement de producteur actif sur les nouvelles technologies au lieu du rôle de consommateur passif qui nous caractérise en ce moment. Cela passe nécessairement par le développement d’une stratégie nationale claire, ambitieuse et volontariste, dotée des outils administratifs, réglementaires et financiers adéquats, qui pourront faire du Maroc, dans un premier temps, un champion Africain des nouvelles technologies.
Par Younes Haffane
Membre de l’Alliance des Economistes de l’Istiqlal
Spécialiste en Transformation Digitale et en Nouvelles Technologies
Il convient de noter que ces tendances n’existent pas en isolation et que les responsables des SI devraient en définir le mix optimal pour implémenter leurs stratégies. Dans la suite de cet article, nous allons explorer ces tendances et tenter d’analyser leur impact potentiel sur l’économie de notre pays.
I – Tendances « centrées sur l’humain »
Hyper automatisation
Si l’automatisation des tâches humaines s’est largement démocratisé, surtout en milieu industriel, l’hyper automatisation reste encore à ses balbutiements. Elle consiste à utiliser les nouvelles technologies pour augmenter les capacités humaines et automatiser les processus de production sur toute la longueur de la chaîne (découverte, analyse, design, automatisation, mesure et évaluation). Elle repose sur une combinaison de plusieurs outils comme l’automatisation de processus par robotique (RPA), les applications intelligentes de business management (iBPMS) et l’apprentissage machine (Machine Learning).
Expérience multiple
Ce concept remplacera petit à petit l’expérience utilisateur traditionnelle, centrée autour d’un point d’interaction unique, par une expérience plus immersive avec une multitude de capteurs et d’interfaces. Cette expérience ambiante utilisera de façon progressive les technologies de réalité augmentée (AR), de réalité virtuelle (VR), d’interfaces homme-machine multicanales, et de capteurs sensoriels intelligents.
Démocratisation de la technologie
La technologie deviendra de plus en plus accessible au grand public, non seulement en tant qu’utilisateurs mais aussi en tant que créateurs et designers d’applications. Grâce à la démocratisation de la technologie, il ne sera plus nécessaire d’être un spécialiste en langages de programmation ni d’être un « data scientist » confirmé pour créer des applications pointues. Des outils utilisant l’intelligence artificielle assisteront les développeurs novices dans la génération de code machine et dans l’automatisation de la phase des tests. Cette tendance touchera essentiellement 4 disciplines : le développement des applications, l’analyse de données, le design et la gestion des connaissances.
Humain augmenté
L’augmentation humaine consiste à utiliser les nouvelles technologies pour améliorer les expériences physiques et cognitives de l’être humain. L’augmentation physique repose sur l’utilisation d’un dispositif implanté à l’intérieur du corps ou à l’extérieur pour améliorer ses capacités. Elle se divise en 4 catégories : l’augmentation sensorielle (vue, audition), l’augmentation des fonctions biologiques (exosquelettes, prothèses), le cerveau augmenté (implants pour traitement d’épilepsie) et l’augmentation génétique (cellules souches). De l’autre côté, l’augmentation cognitive peut améliorer les capacités de l’être humain à réfléchir, à analyser son environnement et à prendre de meilleures décisions raisonnées.
Transparence et traçabilité
Le stockage et la manipulation des données personnelles deviennent de plus en plus problématiques pour les organisations, surtout que les utilisateurs sont de plus en plus conscients de la façon dont leurs données sont exploitées et monétisées par les entreprises. Les nouvelles législations en matière de protection des données personnelles impliqueront des changements pour ces entreprises dans leur façon de collecter et stocker les données mais aussi dans leur façon de les utiliser et les partager.
II – Tendances « espace intelligent »
L’informatique en périphérie
Cette discipline (aussi appelée « Edge Computing ») concerne les architectures utilisant des capteurs de données intelligents. Elle consiste à effectuer tout ou une partie du traitement de l’information à un niveau proche des capteurs afin d’optimiser le flux de données transitant sur les réseaux. La conséquence directe est que l’association de ces capteurs et de ces applications et services contribuent à créer des espaces intelligents au plus près de l’utilisateur final. Selon Gartner, le nombre de capteurs intelligents à la périphérie des réseaux sera 20 fois celui des dispositifs IT traditionnels en 2023.
Le cloud distribué
Les fournisseurs de cloud public commencent déjà à distribuer et délocaliser leurs offres de services en dehors de leurs centres de données traditionnels, tout en gardant la responsabilité de l’architecture, de la distribution, de la sécurité et de la gouvernance. Cela permet de résoudre les problèmes de disponibilité, de latence et de souveraineté sur les données.
Les objets autonomes
Si les objets autonomes existent déjà dans certains milieux restreints et contrôlés (les mines, les champs agricoles, les entrepôts), ils seront bientôt appelés à évoluer dans des espaces publics ouverts. D’ailleurs, plusieurs projets de voitures autonomes sont à des stades avancés d’implémentation (Google, Tesla, Uber) avec, comme particularité, l’utilisation des algorithmes d’apprentissage machine pour faire évoluer les automobiles, en mode autonome ou semi-autonome.
La blockchain pratique
Une blockchain est une sorte de base de données encryptée, distribuée, détenue par tous les utilisateurs, sans autorité de régulation centrale, utilisée en général pour stocker des données de transactions entre différentes parties. Son architecture a été conçue pour rendre (presque) impossible la modification d’une donnée ou d’une transaction sans corrompre la totalité de la chaîne de blocs. Cela dit, au fur et à mesure que la chaîne grandit, l’ajout d’un nouveau bloc devient de plus en plus coûteux en termes de puissance de calcul et de dépense énergétique, posant des problèmes d’adoption au sein des entreprises.
La blockchain pratique s’intéresse à l’utilisation de technologies complémentaires comme l’intelligence artificielle et l’internet des objets pour fluidifier le processus de vérification des nouveaux blocs et pour élargir les domaines d’application de la blockchain. Par exemple, à l’avenir, Gartner n’exclut pas qu’une voiture pourrait négocier le renouvellement d’un contrat d’assurance directement avec la compagnie d’assurance, en utilisant la télématique et la blockchain.
La sécurité fondée sur l’IA
L’adoption des nouvelles technologies et l’avènement massif des algorithmes d’intelligence artificielle soulèvent forcément des questions de sécurité et d’émergence de nouveaux types d’attaques malveillantes. L’augmentation exponentielle des objets connectés, des clouds distribués et des capteurs intelligents augmentent nécessairement les points d’intrusion et les risques de sécurité potentiels et les spécialistes de la sécurité devront faire face à de nouveaux défis. Ils devront se focaliser sur la protection des systèmes d’IA, sur l’utilisation de l’IA pour l’amélioration de la sécurité et sur l’anticipation d’attaques malicieuses à base d’IA.
Et nous dans tout ça ?
Si certaines de ces tendances peuvent sembler hors de portée pour notre pays en ce moment, le Maroc commence à se positionner timidement sur d’autres.
C’est le cas, par exemple, des secteurs de l’automobile et de l’aéronautique et l’émergence des plateformes industrielles intégrées qui garantissent une automatisation avancée des procédés de production. Notre industrie minière commence à utiliser des engins autonomes ou semi-autonomes pour le transport de minerais sur des chemins balisés et à explorer l’utilisation des machines de forage autonomes. Le personnel des complexes industriels est graduellement équipé d’uniformes intelligents garantissant à la fois plus de sécurité et de productivité.
Sur le plan de l’informatique en périphérie, l’exemple de l’OCP et son programme de transformation digitale du secteur agricole demeure l’un des plus aboutis sur la scène nationale. Les agriculteurs reçoivent des conseils personnalisés et contextualisés à l’aide de capteurs intelligents et des algorithmes d’analyse de données. D’autre part, des traitements innovants commencent à faire leur apparition au Maroc comme l’utilisation des cellules souches qui permettraient de guérir des maladies chroniques ou dégénératives, en réinjectant des cellules dans l’organisme, après traitement dans des machines spécialisées.
Cela dit, si ces avancées technologiques constituent un apport indéniable au développement économique de notre pays, le sujet des nouvelles technologies a jusqu’ici été traité avec beaucoup de passivité et un manque total de stratégie visionnaire. C’est la raison pour laquelle il est plus que jamais urgent de développer un positionnement de producteur actif sur les nouvelles technologies au lieu du rôle de consommateur passif qui nous caractérise en ce moment. Cela passe nécessairement par le développement d’une stratégie nationale claire, ambitieuse et volontariste, dotée des outils administratifs, réglementaires et financiers adéquats, qui pourront faire du Maroc, dans un premier temps, un champion Africain des nouvelles technologies.
Par Younes Haffane
Membre de l’Alliance des Economistes de l’Istiqlal
Spécialiste en Transformation Digitale et en Nouvelles Technologies